Des failles dans la communication de crise de François Fillon ?
A chaque nouvelle situation de crise, ce nouveau rituel : évaluer la communication de crise. François Fillon dévisse en plein PenelopeGate. Le cabinet qui l’accompagne est immédiatement jugé coupable, pire incompétent. Évidemment, les choses sont un peu plus complexes que cela. Une communication de crise réussie résulte certes d’un dosage subtil, parfois hautement instable. Mais elle repose surtout sur la capacité du dirigeant à l’incarner. En ce sens, le plus faible relais de la communication de crise de François Fillon est sans doute François Fillon, lui-même.
C’est un fantasme répandu. Derrière les hommes politiques, il y a des communicants qui façonnent les discours, les idées et, pire, les personnages. Le dirigeant politique comme une marionnette dont le conseil en communication tire les ficelles.
L’idée est séduisante. Certains consultants se complaisent d’ailleurs à l’entretenir. C’est une croyance flatteuse. Elle leur octroie un pouvoir qu’en réalité ils sont très loin d’exercer. Car comme toute idée simpliste, elle réduit la réalité à un aspect anecdotique.
Les choses sont plus simples. Si le cabinet conseille, le client, lui, tranche et valide. Autrement dit, le seul rôle du consultant en communication de crise est de proposer une stratégie et des options sur son strict champ de compétence : préserver l’image, contenir les dommages.
La communication n’est qu’un aspect de la décision qu’un dirigeant doit prendre. Il doit intégrer d’autres contraintes : financières, logistiques, opérationnelles, humaines… Par expérience, je peux dire que le choix final donne rarement totalement raison au communicant. Tant pis pour le fantasme.
Le stress change tout, les réactions, la posture, la capacité à communiquer
Le processus théorique est donc assez simple. Le dirigeant prend une décision éclairée basée sur une réflexion approfondie elle-même nourrie par une analyse rigoureuse et impartiale de la situation.
Mais en temps de crise, un paramètre change tout. En mode dégradé, la pression modifie radicalement la capacité à décider. Le stress génère des comportements totalement inopérants, par exemple en cellule de crise, comme le décrit Muriel Jouas dans le livre Gérer l’urgence et l’émotion en situation de crise (Édition Gereso).
J’observe régulièrement des groupes parfaitement opérationnels « à froid » puis subrepticement dysfonctionnels à mesure que la pression monte. Le stress altère la lucidité, modifie les comportements et dégrade la capacité à communiquer. C’est vrai pour chacun d’entre nous avec toutefois des réactions différentes selon nos profils de personnalité. (Travaux de Taibi Kahler, Docteur en psychologie, pour la Nasa)
Une tape sur la tête de l’interviewer
Certains dirigeants vont entraîner leur structure dans un mutisme dommageable. D’autres vont prendre la parole de façon réactive adoptant des comportements incohérents ou inadaptés. Exemple avec la réaction excédée de Bernard Tapie cuisiné sur l’affaire d’arbitrage financier contesté.
Et François Fillon dans tout ça ? La pression est incommensurable : politique, narcissique, personnelle. Impossible d’imaginer qu’elle n’ait pas une forte influence sur la capacité du candidat à décider. Sa posture personnelle depuis le début de la crise que connaît sa campagne évoque fortement des éléments inopérants caractéristiques : rigidification, enfermement.
Une communication de crise totalement inefficace ? Vraiment ?
Depuis le début de la crise, la communication du candidat est erratique, réactive, inconstante. Un assemblage de l’ensemble des erreurs à éviter en situation sensible. Un vrai cas d’école. Image 7, le cabinet conseil qui accompagne François Fillon, peut-il se tromper à ce point ?
Personne ne possède la recette qui arrêtera net l’essoreuse mise en mouvement par une crise fortement médiatisée. Il existe néanmoins des stratégies, des réponses pour contenir et réduire le risque de fracture irréparable. Or, aucune de ces solutions n’a été tentée ou mise en oeuvre, au moins dans les temps.
Difficile d’observer la moindre souplesse dans la posture de François Fillon depuis le début de la crise. Certes, il y a bien eu « l’excuse » de la conférence de presse. Mais immédiatement atténuée par les affirmations rigides sur les faits. Cette forme de raideur est une réaction classique pour ce profil d’individu, sous haut niveau de stress.
Convaincu de n’avoir commis aucune faute, le dirigeant ou la structure mise en cause s’arc-boute sur une position de principe incapable d’envisager que ses publics puissent porter un regard différent sur la situation.
Du candidat à mèche au candidat au poing levé
Dans les situations que j’ai vécues de l’intérieur, le débat est toujours le même : légal ou moral. « Comment puis-je être mis en cause alors que je n’ai commis aucun acte illégal ? ». A chaque fois, la question n’est pas là. Elle est toujours simplement morale. Les faits sont jugés par les publics inacceptables.
Tout communicant de crise dira que c’est sur cette perception qu’il faut intervenir. Sous stress, certains profils de dirigeants ne pourront toutefois jamais l’accepter et s’en tiendront à une stratégie suicidaire de déni de responsabilité, même relative.
Entrer en croisade pour démontrer que l’on a raison
François Fillon peut-il encore entendre ceux qui lui conseillent une autre voie ? Les rares éléments sortant de l’équipe rapprochée du candidat ou des journalistes qui suivent de près la campagne témoignent d’une grande raideur. Pour un communicant, il n’y a rien de pire que l’incapacité d’accéder au client, au sens propre comme au figuré.
Le déni produit des effets délétères. Le dirigeant n’accepte aucune alternative. Figé, il élimine toute stratégie, tout argument qui vient contredire la conviction profondément ancrée qu’il a raison contre tous. Pire, il se fait un devoir de le démontrer.
Le dirigeant ne valide plus que des éléments de langages d’auto-absolution, de justification. Les dernières interventions de François Fillon témoignent de cette posture : calcification du discours, répétition des mêmes mots, permanence d’arguments répétés sans être entendus. Enfin, il improvise et finit par livrer sa propre vision de la situation, crue, parfois glaçante.
Didier Lombard, patron de France Télécom, s’exprime pour la première sur la multiplication des suicides qui touche son entreprise. Il livre sa propre « vérité » et utilise en public les mots qu’il utilise en privé.
Conséquence fréquente de ce processus de délitement : la communication dysfonctionnelle augmente la pression qui elle-même fige encore un peu plus le dirigeant ou la structure. Un cercle vicieux. Le stade ultime étant une phase paranoïaque où tout ce qui représente un contre-point devient suspect. Les journalistes sont évidemment un problème. François Fillon dirait un « système dont il se pose en victime ». Ils deviennent rapidement une cible. Dans sa croissade pour rétablir sa vérité, tout ce qui interroge sa propre vision de l’affaire constitue un obstacle.
Mais c’est également l’ensemble de l’équipe dirigeante peut faire l’objet de la même méfiance. Finalement, le dirigeant finit isolé, entouré de 2 à 3 personnes partageant sa conviction, incapables donc d’élargir son champ de réflexion.
Les porte-parole se défilent
Signe extérieur de ce tarissement: le nombre de relais formels ou informels diminue. En entreprise, clairement le management, les autres dirigeants se défilent. Difficiles pour eux de porter une croisade jugée contre-productive. En politique, ce sont les porte-voix qui disparaissent.
Peu de relais pour soutenir et porter les messages de François Fillon dans les médias, notamment les chaînes infos et les matinales des radios. Personne à l’exception de seconds couteaux comme Gérard Longuet ou Éric Ciotti. Peur de l’effet retour, être soi-même entaché par ce que l’on est censé défendre.
Impossible de dire comment se terminera l’histoire. Cette campagne électorale, totalement instable, rend toute conjecture impossible. Un événement majeur peut modifier la perspective. L’expérience montre que, sauf électrochoc extérieur, un dirigeant encapsulé dans le déni finit toujours par exploser en vol.